En visite en Corée du Nord, Vladimir Poutine cherche des alliés pour se détacher de la Chine (2024)

Il est des moments où la Russie, qui compte près de 146 millions d'habitants répartis sur 17.234.033 kilomètres carrés (soit 11,5% des terres émergées de la planète), peut avoir besoin d'un pays 143 fois plus petit, où vivent un peu plus de 25 millions de personnes seulement. C'est ce qui lui arrive en ce moment avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC).

Le président de la fédération de Russie, Vladimir Poutine, qui a lancé une guerre interminable en Ukraine, veut montrer que son pays n'est pas totalement dans la main de la Chine. Celle-ci accepte d'aider Moscou économiquement, mais évite de lui fournir des armements. Au contraire, la Corée du Nord peut fournir aux Russes toutes sortes d'armes qu'elle fabrique et accumule.

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Tout comme la Russie, elle n'a que faire des sanctions infligées par les États-Unis et les diverses institutions internationales. Depuis près d'une année, l'armée russe utilise des armes nord-coréennes et, le 19 juin, Vladimir Poutine s'est rendu à Pyongyang pour officialiser et développer cette coopération.

Depuis plus de soixante-dix ans, le régime de type marxiste en place à Pyongyang parvient à mener sa propre politique, tout en entretenant des liens forts avec Pékin autant qu'avec Moscou. Constamment préoccupée par sa sécurité, la Corée du Nord a accumulé un arsenal considérable et elle expérimente de temps à autre des missiles nucléaires en mer du Japon. Mais le régime produit et accumule aussi des stocks d'armes et de munitions suffisamment importants pour qu'une partie soit vendue à qui le désire.

Toutes ces raisons expliquent le voyage de Vladimir Poutine à Pyongyang. Il connaît Kim Jong-un qui, en train blindé spécial, est venu le voir à deux reprises dans l'Extrême-Orient russe, en avril 2019 et en septembre 2023.

«Accord de partenariat stratégique»

Dès son arrivée, Vladimir Poutine a fait savoir qu'il remerciait la Corée du Nord pour l'aide qu'elle apporte à l'«opération militaire spéciale» déclenchée par la Russie en Ukraine. Il a déclaré à Kim Jong-un: «Nous apprécions beaucoup votre soutien systématique et permanent de la politique russe, y compris sur le dossier ukrainien.»

En remerciement, le président russe a annoncé soutenir la Corée du Nord face aux «pressions, chantage et menaces militaires» des États-Unis. Il est, par ailleurs, prévu de mettre en place entre Moscou et Pyongyang des systèmes commerciaux et sécuritaires que les pays occidentaux ne pourront pas contrôler. Ces perspectives ont amené Kim Jong-un à parler de l'avènement d'une «nouvelle ère» dans les relations de son pays avec la Russie et à qualifier le président russe de «meilleur ami» de la Corée du Nord.

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La signature d'un «accord de partenariat stratégique», le 19 juin dans la capitale nord-coréenne, détaille l'entente entre la Corée du Nord et la Russie. Il s'agit d'une «assistance mutuelle en cas d'agression», ainsi que l'a indiqué Vladimir Poutine. Le texte de cet accord n'a été que partiellement rendu public. Mais le président russe a précisé qu'il ne concernait que la Russie et la Corée, qui «mènent toutes deux une politique étrangère indépendante». Des mots qui sous-entendent que ni la Russie ni la Corée du Nord n'ont d'allégeance envers aucun pays. Point notable, la Chine n'a nullement été citée dans ces discours.

Un allié militaire

En se rapprochant nettement plus qu'il ne l'avait fait jusque-là de la Corée du Nord, Vladimir Poutine a voulu montrer que la Russie veut avoir un partenaire qui l'aide militairement–ce que la Chine évite soigneusem*nt de faire. Depuis bientôt deux ans et demi, elle tâche de ne pas aller trop loin dans sa proximité avec la Russie même si, alors que le conflit en Ukraine allait se déclencher, Xi Jinping et Vladimir Poutine avaient déclaré avoir l'un pour l'autre une «amitié sans limite». Ce lien conduit Pékin à admettre que l'Ukraine fait partie de la zone de sécurité de la Russie et que, par conséquent, ce pays ne doit pas tomber dans le camp occidental en entrant dans l'Otan. Ce point de vue est régulièrement exprimé dans des commentaires des émissions d'actualité de la télévision chinoise (CCTV).

Mais cela n'entraîne pas une adhésion de Pékin au comportement de la Russie en Ukraine. La Chine se contente de profiter de l'isolement dans lequel cette guerre a plongé la Russie pour développer considérablement ses échanges commerciaux avec elle. Toutes sortes de produits et de minerais dont le sol russe ne manque pas sont importés par la Chine, dont de grandes quantités de pétrole. Mais tout indique que Pékin respecte son engagement, passé auprès des Américains en 2022, de ne pas fournir de matériel militaire à la Russie. Les dirigeants chinois sont conscients qu'aider militairement l'armée russe serait lourd de conséquences pour le commerce international de la Chine.

Le souhait que le conflit en Ukraine se prolonge existe à Pékin.

D'un autre point de vue, les Chinois peuvent trouver un avantage à ce que la Russie soit en première ligne dans les critiques et les sanctions émises par le camp occidental. La dénonciation de l'attitude russe en Ukraine atténue la mise en cause par les États-Unis, et depuis quelque temps de plus en plus par l'Union européenne, de nombreuses pratiques commerciales chinoises. Par ailleurs, l'évocation des atteintes aux droits humains en Chine, notamment dans les régions du Xinjiang et du Tibet, est elle aussi à présent moins audible.

Aussi, le souhait que le conflit en Ukraine se prolonge existe à Pékin. Et les demandes de certains responsables américains ou européens auprès du président Xi Jinping, pour qu'il tente d'influencer Vladimir Poutine en vue d'un arrêt de la guerre en Ukraine, n'ont guère de chances d'aboutir.

Pékin irrité, les États-Unis pas surpris

Cependant, le voyage de Vladimir Poutine à Pyongyang, qui montre que les Russes ont d’autres partenaires que la Chine en Asie, a de quoi irriter Pékin. Le 19 juin, jour de la rencontre dans la capitale nord-coréenne, l'un des portes-paroles du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, s'est limité à dire, lors d'une réunion de presse, qu'il s'agissait d'un échange bilatéral entre la Russie et la Corée du Nord. Sans plus.

L'agence de presse officielle Xinhua a relaté l'arrivée de Vladimir Poutine à Pyongyang en citant l'agence de presse centrale coréenne (KCNA), qui écrivait que «M. Kim a serré la main de M. Poutine et l'a étreint chaleureusem*nt. Le dirigeant de la République populaire démocratique de Corée a exprimé sa joie et son contentement de rencontrer M. Poutine […]. Le président russe a exprimé sa profonde gratitude envers lui pour l'avoir accueilli à l'aéroport…»

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Une autre dépêche, écrite par le correspondant de Xinhua à Moscou, s'abrite derrière l'agence de presse russe RIA Novosti pour indiquer que la Russie et la Corée du Nord ont signé un accord de partenariat stratégique global, et que Vladimir Poutine a déclaré que ce «nouveau document révolutionnaire» constituera «la base des relations à long terme entre les deux pays». Il n'est visiblement pas nécessaire pour Pékin de développer outre-mesure l'information sur la consolidation de l'amitié russo-coréenne.

En revanche, le 27 mai dernier, les titres de la presse chinoise portaient sur le sommet Chine-Japon-Corée du Sud qui s'est tenu à Séoul. Le Premier ministre chinois, Li Qiang, participait à cette réunion tripartite où il a appelé le Japon et la Corée du Sud à «résoudre de manière appropriée les questions sensibles et les différends», avant de signer une déclaration où les trois pays ont affirmé leur engagement en faveur de «la paix et d'une dénucléarisation de la péninsule coréenne». Un appel pacificateur qui a entraîné, ce qui est très rare, une «réprimande publique» de Pyongyang à l'égard de la Chine.

En visite en Corée du Nord, Vladimir Poutine cherche des alliés pour se détacher de la Chine (5)

Vladimir Poutine et Kim Jong-un lors d'une réception à Pyongyang, le 19 juin 2024. La photo est distribuée par l'agence de presse russe Sputnik. | Vladimir Smirnov / Pool / AFP

Aux États-Unis, la visite de Vladimir Poutine en Corée du Nord a suscité quelques commentaires. John Kirby, le porte-parole de la Maison Blanche pour la Sécurité nationale, a estimé que le pacte de défense entre la Russie et la Corée du Nord signé à Pyongyang «n'est pas une surprise» et qu'il est «un signe du désespoir de la Russie, qui a besoin d'une aide étrangère dans sa guerre contre l'Ukraine». Les États-Unis et l'ONU savent que la Russie a pris l'initiative sans précédent d'utiliser des missiles balistiques de fabrication nord-coréenne, interdits par les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, pour frapper des cibles en Ukraine.

Le temps où Donald Trump, alors président américain, avait initié une tentative de rapprochement entre les États-Unis et la Corée du Nord est révolu. En 2018 à Singapour, à Hanoï en 2019, puis la même année sur la ligne de démarcation qui sépare la Corée du Nord de la Corée du Sud, Donald Trump et Kim Jong-un s'étaient rencontrés. Mais le leader coréen avait refusé la proposition américaine de lever les sanctions internationales contre son pays en échange d'un renoncement à son programme nucléaire. Le rapprochement américano-coréen ne s'était donc pas fait. Donald Trump cherchait ainsi à casser la relation de Pyongyang avec la Chine.

Autres voyages, autres soutiens?

Quatre ans plus tard, le 20 mai 2024, Vladimir Poutine a quitté Pyongyang pour aller passer deux jours à Hanoï, au Vietnam. Ce pays d'Asie du Sud-Est est toujours officiellement communiste, et sa relation avec l'URSS était importante du temps de sa guerre avec les États-Unis puis de sa brouille avec la Chine en 1979. Le Vietnam d'aujourd'hui continue d'acheter à la Russie les armements qu'il estime nécessaires en raison des comportements expansionnistes chinois en mer de Chine méridionale.

Mais soutenir résolument la Russie dans sa guerre en Ukraine ne semble pas être dans les plans des dirigeants vietnamiens. À la différence de la Corée du Nord, le Vietnam pratique une ouverture économique qui explique en partie une croissance qui devrait se situer cette année aux alentours de 6%. De nombreuses productions manufacturières, ainsi que des fabrications de semi-conducteurs, soutiennent cette activité. L'industrie vietnamienne ne veut pas se mettre à dos ses nombreux clients américains et européens en se rapprochant économiquement et militairement de Moscou. Aussi Hanoï pratique-t-il une «diplomatie du bambou» flexible et équilibrée, qui refuse de choisir un camp plutôt qu'un autre.

Dans les mois à venir, Vladimir Poutine pourrait envisager d'autres voyages dans le but d'afficher ses soutiens internationaux.

Pendant son séjour à Hanoï, Vladimir Poutine a appris qu'à Séoul, un conseiller du président sud-coréen avait déclaré après la signature de l'accord de défense entre la Corée du Nord et la Russie prévoir «de reconsidérer la question de la fourniture d'armes à l'Ukraine.» Jusqu'ici, la Corée du Sud ne livrait jamais d'armes à un pays en guerre. Vladimir Poutine a réagi en affirmant que la Corée du Sud, alliée des États-Unis, commettrait alors une «très grave erreur», et que Moscou réagirait «d'une manière qui serait douloureuse pour Séoul».

Ces paroles ont provoqué une nouvelle réaction américaine. Le porte-parole Matthew Miller a jugé les propos de Vladimir Poutine «extrêmement préoccupants». «Envoyer de l'armement à la Corée du Nord déstabiliserait, potentiellement, la péninsule coréenne. […] En fonction du type d'armes [fournies], cela pourrait violer les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU que la Russie elle-même a soutenues.»

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Finalement, le déplacement de Vladimir Poutine hors de Russie a montré qu'il lui est possible de trouver un terrain d'entente avec la Corée du Nord, pays dont le cap est généralement considéré comme imprévisible. Au Vietnam, le maître du Kremlin a en revanche reçu un accueil beaucoup plus réservé. Dans les mois à venir, Vladimir Poutine pourrait envisager d'autres voyages dans le but d'afficher ses soutiens internationaux. Cuba, par exemple, a eu des relations fortes avec l'Union soviétique, et l'Iran en a actuellement avec la Russie. Il y a aussi les pays qui, aux côtés de la Russie et de la Chine, ont créé le groupe des BRICS avec le Brésil, l'Afrique du Sud ou l'Inde.

Mais, au-delà, les déplacements internationaux de Vladimir Poutine sont devenus hasardeux depuis que la Cour pénale internationale l'accuse d'avoir ordonné la déportation vers la Russie d'enfants ukrainiens et a lancé contre lui un mandat d'arrêt. Au moins, en allant en Corée du Nord, il ne risquait pas d'être rattrapé par cette juridiction. En même temps, à l'évidence, Poutine voulait surtout montrer son autonomie par rapport à la Chine, une puissance économique dont la Russie a cependant intérêt à ne pas trop se détacher.

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